mardi 15 mai 2012

Encontros, réel déployé par Eric Loret - Libération 11.01.2012

Encontros, réel déployé

(...) Pour Encontros (Rencontres), Goulet revient au village de Peroguarda, dans l’Alentejo portugais. Ou à celui de Furadouro, ou dans les deux, ubiquité. Là se mêlent le souvenir de Paulo Rocha et son Changer de vie (Mudar de Vida, 1966), fiction sur la fin du monde ancestral des pêcheurs, mais aussi l’évocation du cinéaste et poète António Reis, dialoguiste de Changer de vie. Troisième homme à être convoqué : le Corse Michel Giacometti, qui fonda les archives sonores portugaises en enregistrant les chants des campagnards.

Effacement. C’est donc sur l’effacement, et l’enregistrement de ce qui disparaît. Pierre-Marie Goulet filme d’abord les paysages (terre, mer) avec le fétichisme des enfants, comme on fait en plissant les yeux ou en se mettant tête en bas pour cerner un détail des cailloux, d’un reflet qu’on ne percute pas en temps normal, pour isoler un trait formel dans le déjà-vu du quotidien. Puis il passe la parole à ceux qui ont connu António Reis. Il les écoutait, disent-ils. Ce n’était pas un poète ou un cinéaste qui accapare. Reis donnait, au contraire. Pareil pour Michel Giacometti. On sent que pour Goulet, c’est une sorte d’art poétique : le cinéma qui offre par le fait même de capter.

Du coup, ce qui intéresse théoriquement dans Encontros, c’est la question de la relève du réel. Le cinéma est un art pour la mort, par les morts, c’est-à-dire pour la vie. Du moins, le vrai cinéma, pas celui de l’industrie, pas le paravent que dénonçait Daney, pas le souvenir-écran. Non, un cinéma qui ressuscite ce (ceux?) qu’il touche. A Hollywood, les films sont faits pour être jetés après consommation. Tout le monde se fout de les préserver. Mais il existe un cinéma qui fait parler les morts. L’acteur de ces films sait qu’il imite la vie pour l’éternité. Même morte, Dietrich est encore avec nous. (...)

Jardin. Emerveillement du cinéma que l’on voit dans Encontros, avec les habitants du village qui assistent à une projection de Changer de vie: ils reconnaissent les disparus, se revoient enfant pour quelques-uns. A d’autres moments, ils écoutent de vieilles chansons enregistrées par Giacometti et les rechantent. Magie de l’art, comme on l’entend dans un poème off : il fait «reconnaître les bancs d’un jardin sur lesquels nous ne nous sommes jamais assis».

L’analyse dans le numéro 80 de Trafic est signée Bernard Eisenschitz. Mieux informée de l’histoire des rencontres entre les artistes ici évoqués, proche de Goulet, elle éclaire nettement le processus de création : "Le cinéma est une affaire d’affinités électives."

Eric Loret

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